GIEC: des rapports à prendre en compte

Appelée à siéger au conseil municipal d'Olivet dans le groupe Olivet écologique & solidaire après la démission de Jean-Christophe Haglund, Claire Ramboz annonce son intention de faire de la lutte contre le réchauffement climatique l'horizon de ses interventions municipales. Elle s'appuie pour cela sur son expérience en matière de recherches au sein du CNRS et sur les rapports du GIEC. Elle en expose ici l'origine et la pertinence tout en montrant comment d'aucuns ont tenté de discréditer le Giec et y sont (partiellement) parvenus.

Elle a rédigé pour Olivet Mag le texte que vous lirez ci-dessous.

Les intertitres sont de la rédaction.

On vous conseille par ailleurs le compte rendu (sur Mag Centre) par JJ Talpin de la conférence de François Gémenne, l'un des co-auteurs des rapports du GIEC. Nous avions annoncé ici même cette conférence à la salle Eiffel.

Et, toujours sur Mag Centre, l'annonce de l'intervention de Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM et co-auteur du 6ème volet du 6 ème rapport du GIEC, dans le cadre des "mardis de la science" au MOBE, à Orléans.

 

 

GIEC: des rapports à prendre en compte

Remontons un peu le cours du temps...

Le changement climatique est devenu perceptible dès les années 1980. En 1990,
l’ONU a mis en place un groupe de scientifiques internationaux, le GIEC, pour étudier
l’évolution du climat de la Terre. Les travaux du GIEC ont dès le début été perturbés
par des débats animés par les climatosceptiques qui, au sein du groupe ou en dehors,
ont dénié la responsabilité des émissions de CO2 d’origine anthropique dans la crise
climatique.
L’année 2007 marque un tournant. Après 15 ans passés à construire leurs outils de
travail (bases de données, logiciels de prédictions météorologiques), les experts du
GIEC éditent un 4è rapport présentant des listes à degré de certitude élevé des
conséquences directes observées des changements climatiques et environnementaux
de la planète. Ils y joignent, selon l’évolution à la hausse ou à la baisse des émissions
de GES, plusieurs scénarios à degré de certitude élevé à moyen sur les conséquences
prévisibles à moyen et long terme de ces changements. Un résumé des principaux
résultats est fourni aux décideurs économiques et politiques. Ces travaux et initiatives
valent aux membres du GIEC d’être co-récipiendaires du prix Nobel de la paix 2007.
Le rapport présente également les prédictions des modèles météorologiques sur
l’évolution du climat.

Dans le sud et l’est de l’Australie notamment, les scientifiques
anticipent avec quasi certitude des pénuries d’eau, ainsi que des vagues de chaleur et
des feux de plus en plus intenses à l’horizon 2030. Tous les aléas climatiques anticipés
par le GIEC ont été observés en 2019-2020 dans cette région, avec toutefois quelques
années d’avance sur les prévisions de 2007 du fait de l’accélération du réchauffement
global à partir de 2015. On peut donc rétrospectivement conclure à l’extrême
pertinence de la méthodologie scientifique développée par le GIEC dès 2007, tant
pour analyser les causes des observations passées à actuelles du changement
climatique que pour prédire à moyen terme le climat à venir, ainsi que les
conséquences environnementales et économiques de ces changements.
Pourquoi les dirigeants politiques de notre planète ont-ils montré une si générale
et constante inaction climatique dans les 15 dernières années, en dépit des rapports
exhaustifs du GIEC documentant la progression observée du réchauffement et la
dégradation de l’habitabilité de la planète pour toute forme de vie ? La complexité du
du contexte géopolitique international après 2015, encore amplifiée par le
déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, a certainement été défavorable aux
négociations multilatérales sur le climat. Mais c’est l’entreprise de dénigrement lancée
par les climatosceptiques contre les travaux du GIEC dès 1990 qui a joué un rôle décisif
pour neutraliser les actions visant à atténuer le réchauffement de la Terre.

GIEC: des rapports à prendre en compte
GIEC: des rapports à prendre en compte

 

Qui discrédite le Giec? L'exemple archétypal de l'Australie!


L’industrie extractive est dominante dans ce pays, riche en ressources stratégiques
(fer, uranium, terres rares, charbon...). Les lobbies du secteur minier ont acquis un
pouvoir d’ingérence important dans la société. Deux climatosceptiques notoires,
Rupert Murdoch et Gina Rinehart, contrôlent tous les journaux importants du pays
et leurs médias diffusent largement les opinions climatosceptiques. Gina Rinehart
sponsorise par ailleurs les travaux d’instituts de recherche niant la responsabilité
humaine dans la crise climatique. L’Australie est le second exportateur mondial de
charbon, et près de 300 000 emplois dépendent de ce minerai. Scott Morrison a été
premier ministre d’Australie d’août 2018 à mai 2022, au plus fort de la crise climatique.
Ardent défenseur du lobby charbonnier, il a soutenu sans réserve l’accroissement de
l’exploitation charbonnière et a refusé d’évoquer tout lien entre les catastrophes
environnementales qui se sont produites pendant son mandat et la crise climatique
globale.

En janvier 2020, l’Académie des Sciences d’Australie déclare que le
réchauffement qui frappe l’est du pays avec ses conséquences environnementales
extrêmes, sont scientifiquement prouvés et conformes aux prévisions du 4è rapport
du GIEC. Membre de la Société Géologique d’Australie, le géologue Ian Plimer a fait
fortune dans les mines métalliques. Également membre du comité de conseil
académique d’un groupe de pression réfutant le changement climatique, il a dénoncé
les travaux du GIEC comme non scientifiques, les accusant de privilégier l’origine
anthropique du réchauffement global et de négliger des facteur internes à la planète
comme les gaz volcaniques, ou externes comme le soleil. En 2021, Ian Plimer a publié
un livre intitulé ‘l’écologie criminelle’, qui est en parfaite contradiction avec la
déclaration de 2020 de l’Académie des Sciences à laquelle lui-même appartient.
En 50 ans, les lobbies de l’industrie extractive en Australie ont instillé un
climatoscepticisme d’atmosphère à travers le pays. Leur arme principale, c’est
décrédibiliser la démarche des scientifiques et leurs travaux pour diviser la société. Le
dissensus s’est infiltré au sein même de la communauté scientifique. Dans un pays où
la rationalité est brouillée, voire inaudible, les citoyens ont mis en doute ou rejeté le
rapport du GIEC, pourtant rédigé par 152 auteurs-coordinateurs et auteurs principaux
internationaux, qui leur prédisait dès 2007 des cycles de sécheresse, incendies et
inondations. Par la faute des climatosceptiques, l’Australie, pays aride particulièrement
vulnérable et le premier atteint par les catastrophes climatiques extrêmes provoquées par
le réchauffement, n’a toujours pas entamé sa transition climatique ni renoncé au
charbon, un des principaux accélérateurs du désastre.

 

Et en Europe?


La situation en Europe vis-à-vis du climat est assez différente. L’exploitation minière
y est bien présente mais elle concerne 6 pays seulement, dont les deux leaders sont
en Europe du nord (Suède et Finlande). L‘activité minière est au cœur des
considérations géopolitiques et stratégiques européennes mais n’a pas généré de
puissant lobby pérenne à l’échelle du continent. L’UE s’est engagée dans la lutte contre
le changement climatique au début des années 1990, créant une taxe énergie-carbone
régionale en 1991. Depuis 10 ans, elle joue un rôle de leader dans la promotion et le
financement de la lutte en faveur du climat. Dans l’accord signé en 2015 à Paris lors de
la COP21, tous les états de la planète, y compris la Chine et le États-Unis responsables
de ~ 40% des émissions annuelles de GES, se sont engagés pour la première fois sur des
objectifs contraignants de diminution de leurs émissions. En 2020, aucun pays n’a respecté la
trajectoire de réduction des GES à laquelle il s’était engagé. A cette date, l’Europe avait réduit
ses émissions de 31% en 20 ans mais les mesures prises par les états étaient insuffisantes pour
atteindre l’objectif de réduction de 40% fixé à l’horizon 2030. C’est la raison pour laquelle tous
les gouvernements européens sont aujourd’hui accusés d’inaction climatique par des ONG et
des mouvements activistes.

 

Et la France dans tout cela?


La situation énergétique de la France en Europe est spécifique. L’électricité produite en
France est la plus décarbonée d’Europe car d’origine nucléaire à hauteur de 72 %. La France
est le second pays émetteur de GES en Europe. En 2019, ses émissions de GES par habitant la
situaient au niveau de la Finlande ou de la Grèce. En 2020, elle était le seul pays à n’avoir pas
atteint le quota qu’elle s’était fixé de 23% d’énergies renouvelables et a été condamnée pour
cela à une amende de 500 millions d’euros par la Commission. En 2020, le Haut Conseil pour
le Climat pointait aussi le retard de la France en matière d’isolation thermique des bâtiments.
Deux décisions de justice, rendues par le conseil d’état en novembre 2020 puis par le Tribunal
de Paris en octobre 2021, sont venues sanctionner l’État français parce que sa trajectoire bas
carbone n’était pas en phase avec ses engagements. La première ministre Elisabeth Borne
n’en annonçait pas moins en juillet 2022 devant la représentation nationale que son
gouvernement affichait l’ambition pour le pays de « devenir la première grande nation
écologique ».
Dans ses vœux aux Français fin décembre 2023, Emmanuel Macron a prononcé
cette phrase « Qui aurait pu prédire [] la crise climatique aux effets spectaculaires
encore cet été dans notre pays ? ». La phrase a suscité de vives controverses et
témoigne de l’engagement climatique ambigu du président. Par ces mots, Emmanuel
Macron cherche à s’exonérer lui-même de toute responsabilité dans le manque de
préparation de la France pour faire face aux aléas climatiques qui se sont multipliés à
partir des années 2000. Cette phrase n’est pas sincère car on peut penser qu’un chef
d’état voulant doter son pays d’une grande ambition climatique et entouré de
conseillers compétents ne pouvait ignorer le rapport du GIEC 2007, qui prédisait sous
20 ans des aléas climatiques violents dans le sud de l’Europe. Toute la péninsule
ibérique, y compris le sud-ouest de la France au nord, était appelée à devenir une zone
à déficit de ruissellement extrême propice à de violents incendies. Les premiers méga-
feux se sont manifestés dès 2016 en Espagne et au Portugal, et se sont répétés
annuellement depuis. L’apparition des méga-feux dans la péninsule ibérique apparait
synchrone de l’accélération du réchauffement global documentée par le GIEC à partir
de 2015. Les méga-feux de Gironde ont commencé à l’été 2022, une année placée au
cœur de la catastrophe climatique selon les experts de la COP26. Emmanuel Macron
a délégitimé les travaux des experts du GIEC en ne les mentionnant pas alors que, dans
le rapport de 2007, la région Aquitaine était bien cartée dans la même zone de déficit
hydrique important que la Péninsule ibérique.

 

Macron climatosceptique!


Dans son discours de fin décembre 2022, le Président Macron a été
climatosceptique par omission, mais c’est toute la société qui agit de même. Prenons
l’exemple des présentateurs météo à la télévision ou à la radio. Tout au long du mois
de février 2023, ils ont insisté sur les températures agréables et les journées
ensoleillées sans mentionner qu’il s’agissait du mois de février le plus chaud jamais
observé en France. Lors des nombreux évènements extrêmes survenus en France et
dans le monde en 2021 et 2022 (grêle, tornades, inondations, méga-feux,
températures de -70°C enregistrées pendant 2 jours aux USA) les reportages à la télé
montraient les images des dégâts provoqués pour chaque catastrophe et présentaient
des interviews de victimes. Très peu parlaient des causes de ces catastrophes et leur
relation avec le réchauffement climatique, les références aux travaux du GIEC étaient
rarissimes.
Les États ne pourront vraiment s’engager dans la transition climatique que lorsque les
politiques et les peuples regarderont en face la réalité du réchauffement et que le
climatoscepticisme sera devenu inaudible dans la société. Les premiers experts du
GIEC en 1990, puis de nombreux économistes et sociologues après eux (Eloi Laurent,
Dominique Méda), ont insisté sur le fait que pour être socialement acceptée, la
transition énergétique doit aller de pair avec la réduction des inégalités et la justice
sociale. Faute de respecter ce paradigme, les décideurs politiques ne pourront
imposer aux Européens les mesures drastiques indispensables à l’atténuation de la
crise climatique. Les politiques climatiques européennes seront toujours en retard sur
les objectifs contractuels préconisés par les experts scientifiques et plus dures en
seront les conséquences.

 

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