ZAC Clos du Bourg: chronique d'une expropriation annoncée

La ZAC du Clos du Bourg fera  couler des flots de gravier, de sable, de béton, d'enrobés, de terre végétale... pour que le programme d'aménagement et de construction voulu par la municipalité et piloté par la SEMDO voie le jour. En attendant, elle fait l'objet de tant de discours et de commentaires, de pétitions et d'opérations de communication qu'on finirait par ne plus trop savoir où on en est du rachat du foncier (terrains, logements) et des expropriations envisagées, en particulier celles qui concernent deux logements dans l'immeuble de la rue Marcel Belot qui donne sur la place Louis Sallé et sera un jour démoli pour créer l'allée qui mènera vers le Parc du Poutyl.

Une récente émission de France 2, abordant la question des expropriations, a exposé la situation faite à Pascale Auteroche, situation qui lui vaut la sympathie de celles et ceux qui imaginent mal, ou trop bien, ce qu'ils ressentiraient s'ils se retrouvaient, bien contre leur gré, dans une situation analogue. Comment tout cela s'est-il passé? Où en est-on actuellement? Olivet Mag a proposé à Pascale Auteroche de répondre à quelques questions posées par J-C Haglund : elle a accepté et nous l'en remercions. Ses propos, présentés ci-dessous en bleu, n'engagent bien sûr qu'elle.

JCH: Quand avez-vous envisagé de venir habiter à Olivet? Pourquoi?

PA: J'ai quasiment toujours vécu à Olivet depuis l’âge de 12 ans. J’ai  loué un appartement rue du Général de Gaulle juste avant celui là et comme je me plaisais au centre bourg, j’ai acheté celui-ci lorsque j’en ai eu les moyens.

JCH: Quand avez-vous visité l'appartement et conclu l'achat par devant notaire?

PA: J'ai éprouvé un vrai coup de cœur pour cet appartement dans une petite copropriété, idéalement situé à 2 minutes à pied de mon travail, donnant sur la place Louis Sallé avec son marché les vendredis, sa fontaine, ses éclairages de fête à Noël et tout à portée de main (commerces, services, transports) sans parler de la proximité du Loiret! L'achat a été conclu en juin 2008

JCH: Quand avez-vous compris que votre immeuble était impacté par un projet aménagement du Clos du Bourg? Ce projet était déjà évoqué par la municipalité: j'étais alors conseiller...

PA: En 2010, mon immeuble est ciblé par la commune pour la mise en œuvre du projet d'aménagement du « Clos du Bourg », mais c’est en 2011 que je l’apprends, un peu par hasard, dans un courrier d’information de la mairie à la population qui ne m’était pas personnellement adressé, il est question d’aménagement du centre ville et de constitution d’ateliers. Je ne comprenais pas vraiment mais par précaution, j’ai assisté à une réunion publique et appris avec stupeur que mon immeuble allait être rasé et qu'à la place il y aurait un grand axe reliant le centre ville actuel et le Poutyl. Je suis tombée des nues, j'avais du mal à y croire, car à aucun moment on ne m'avait contactée personnellement pour m’en parler.

En 2012 ce projet se concrétise par la création de la ZAC avec premières définitions du périmètre, programme prévisionnel des constructions, étude de l’impact...

JCH: Pour l'instant, c'est un projet municipal examiné et voté en conseil municipal. Et la SEMDO,  dans tout ça?

PA: La SEMDO est désignée comme aménageur de la ZAC du « Clos du bourg » en 2013. Elle s’engage donc à lancer immédiatement la procédure préalable à l'obtention de la Déclaration d'Utilité Publique (DUP) ainsi qu'à indemniser les expropriés à la valeur du marché et de leur verser les indemnités de remplois (frais d'agence et de notaire) et indemnités annexes (déménagement)...

JCH: Mais c'est à la municipalité, puis au Préfet de mener à bien cette DUP...

PA:. En tout cas, en 2013,  je cherche à faire évaluer mon appartement et j’obtiens 3 estimations (notaire et agences immobilières), toutes avec une fourchette autour de 200 000€.

JCH: Ce ne sont que des "estimations"... Mais peut-être ont-elles pu vous rassurer... Que se passe-t-il pour vous, après? Avez-vous été en contact avec la municipalité, les élus, les services?

PA: En effet ce ne sont que des estimations tout comme celle des Domaines. Mais il s’agit quand même de 3 estimations indépendantes (et  les 3 estimations  concordent), faites par des professionnels de l’immobilier parfaitement au courant du prix du marché dans le secteur. Et vous savez, quand on cherche à acheter un appartement c’est à eux qu’on s’adresse, pas aux Domaines. C’est à la réalité du monde économique que l’on se frotte.

Par la suite c’est mon avocat qui a tenté d’obtenir une négociation, car je l’avais mandaté pour me représenter. Il s’est heurté au mutisme de la municipalité et à son refus de négocier. En l'absence de commencement de la procédure, je mets en demeure, par courrier en date du 9 novembre 2017, la SEMDO d'exécuter ses obligations, d'engager immédiatement la procédure de DUP et de me formuler une offre d'indemnités d'expropriation complète. Aucune réponse. J'étais si profondément atteinte par l'absence d'offre et cette situation malsaine que je subis depuis plusieurs années que j'entame une grève de la faim qui durera 20 jours.

JCH: Ceci a d'ailleurs fait l'objet d'un article dans Olivet Mag... Et après cela?

PA: Toujours sans réponse et donc sans offre, je renouvelle la mise en demeure par un courrier en date du 19 avril 2018 dans lequel je souligne qu'en dépit des promesses de la SEMDO aucun dossier d'ouverture d'enquête publique n'a été déposé à la Préfecture du Loiret. J'espère ainsi sortir de l'impasse.

Je me sens alors complètement démunie face au mutisme et au manque d'humanité de la SEMDO, je me retrouve bloquée dans une situation où je ne peux pas vendre mon appartement à un tiers sur le marché libre, sans pour autant pouvoir prétendre aux indemnités d'expropriation accessoires en l'absence de DUP.

JCH: Aucune proposition?

PA: Le 5 décembre 2018 (soit 8 ans après le début du projet), la SEMDO a fini par formuler une offre "d'acquisition amiable" unique qui n’a jamais changé jusqu’à la visite de la juge en janvier 2021 : 139 000€ sans indemnités accessoires.

JCH: Que va changer le fait que le 22 octobre 2019 le projet d'aménagement du Clos du Bourg soit enfin déclaré d'Utilité Publique?

PA: La DUP donne droit à des indemnités accessoires, en plus de la valeur vénale du bien ciblé. Mais le 7 avril 2020, La SEMDO maintient son offre globale de 139 000€, dans laquelle elle a inclus l’indemnité de remploi, diminuant d’autant la valeur vénale de mon appartement (abaissée à 125 300€). A noter que je n’ai toujours pas droit à une indemnité de déménagement.

JCH: Donc, toujours pas d'accord amiable?

PA: Non, toujours pas. Le 16 juillet 2020, la SEMDO saisit la juge de l’expropriation afin de faire fixer le montant des indemnités d’expropriation. Le 7 janvier 2021, La commissaire du gouvernement m’en propose 136 300€ (valeur vénale de mon appartement et indemnités) ; mon avocat demande un montant total de 176 936€.

JCH: Et quelle est la décision de la juge?

PA: le 29 mars 2021, la juge fixe la valeur vénale de mon bien à seulement 140 000€ (moins que je ne l’ai acheté en 2008 !) + 22 768€ d’indemnité (remploi et déménagement).

JCH: Où en êtes-vous exactement après ce que le magazine sur France 2 a montré: visite de la juge en charge de la procédure d'expropriation? Fixation par la juge d'un prix de rachat de votre logement par la Semdo?

PA: Je me sens profondément atteinte. La justice m’a permis d’obtenir un peu plus que ce que me proposait la municipalité (par le biais de la SEMDO) : 2000€/m² au lieu de 1790€/m², mais cela reste bien en dessous du prix du marché sur le centre Bourg (moyenne de 2500€/m² pour un appartement). Je me sens victime d’une véritable injustice puisque je ne peux donc pas me reloger dans les mêmes conditions avec cette somme. Cette injustice est amplifiée par le phénomène de flambée des prix du marché immobilier depuis début 2021. A cela s’ajoute le fait qu’à l’heure actuelle, on ne m’a toujours pas donné la somme que la SEMDO est condamnée à me verser. En conséquence, je me sens spectatrice impuissante face à cette hausse immobilière qui n’est pas près de s’arrêter, à devoir attendre que la SEMDO veuille bien me verser mes indemnités. Et une fois ces indemnités versées j’aurai encore une épée de Damoclès au dessus de la tête, car je risque d’être expulsée très rapidement, sans avoir pu me reloger. Je défie les Domaines, la SEMDO et même la justice de me retrouver un bien équivalent au centre bourg ou un autre secteur d’Olivet avec ce qu’ils m’ont proposé.

 

JCH: Vous avez réclamé une "attribution de logement". Qu'entendez-vous par là puisque la mairie n'est pas propriétaire immobilier (en dehors de quelques logements "de fonction" pour personnels) et encore moins dans la ZAC du Clos du Bourg où rien n'est actuellement construit... en dehors de la réhabilitation en cours de l'école primaire du Poutyl?

PA: Dans beaucoup de communes recourant à l’expropriation pour la construction de logements, il est souvent proposé aux gens impactés un des logements qui sera construit en remplacement du leur, pour qu’ils puissent au moins rester dans le secteur où ils ont choisi de vivre. Malheureusement, Matthieu Schlesinger, le Maire d’Olivet (lors du seul entretien téléphonique que nous avons eu ensemble, novembre 2017) m’a dit que cela n’était pas possible notamment parce que le prix du neuf est nettement supérieur au prix de mon appartement actuel. Dans le cadre d’une expropriation et donc d’un marché contraint  n’aurait-il pas été plus juste de prendre en compte le coût de construction, voire de réfléchir en terme d’échange, plutôt que de s’en tenir à la valeur marchande?

JCH: Vous déclarez apprécier la proximité du marché et la vue sur la place Louis Sallé. Vous savez sans doute que la création de cette place, la "requalification " de cette zone de la rue Marcel Belot, la construction d'immeubles d'habitation et de quelques commerces donnant sur la place sont assez récents (de mémoire début des années 80). Cette transformation-là du cœur du Bourg d'Olivet a donné lieu à des rachats de maisons, ateliers et logements, à des négociations, à des expropriations et à des démolitions. N'êtes-vous pas en contradiction quand vous dénoncez aujourd'hui une opération d'urbanisme, de plus grande ampleur, il est vrai?

PA: Mais je ne dénonce pas les opérations d’urbanisme et donc d’amélioration du centre ville, je dénonce la façon dont les personnes victimes d’expropriation ont jusqu’à maintenant été gérées par la commune d’Olivet et en particulier le comportement de l’expropriant :

  • il n’a pas négocié, même s’il prétend l’inverse. Jusqu’à la visite du juge, je n’ai reçu qu’une seule proposition pour un montant global de 139 000€.
  • il a communiqué sur le projet bien avant la « Déclaration d’Utilité Publique » : 9 années (2010 à 2019) ! Ce temps est une arme extraordinaire pour l’expropriant qui peut imposer le prix de rachat qu’il souhaite étant donné qu’il est seul à pouvoir racheter le bien. Les habitants concernés (dont beaucoup de personnes âgées) sont fragilisés, influençables. On leur a fait croire qu’ils avaient plus intérêt à vendre maintenant plutôt qu’attendre un éventuel jugement. Du coup, ils ont signé et ont ensuite regretté. La plupart des témoignages des expropriées sont unanimes sur ce point ;
  • ils nous ont fait porter la responsabilité de la vétusté de l’aspect extérieur de mon immeuble alors que depuis le début, non seulement tout a été fait pour nous faire comprendre qu’il sera bientôt détruit (d’où l’inutilité de se lancer dans un ravalement de façade), mais en plus, au fur et à mesure que les biens sont rachetés, les occupants restants n’étaient plus majoritaires au niveau de la gestion de l’immeuble. Par exemple, la ville a refusé d’intervenir pour réparer les infiltrations d’eau dans les caves dues aux égouts ;
  • il n’a répondu ni aux appels de notre avocat, ni aux courriers de demande d’offre de rachat ;
  • il n’a pas proposé de logement équivalent en échange (dans ce qui existe déjà ou qui va être construit) à ceux qui n’étaient pas intéressés par une location. En ce qui me concerne, on m’a envoyé une publicité d’appartement à racheter plus de 40 000€ supérieur au montant de l’offre de rachat sans la moindre explication ;

 

Et lorsque j’entends le maire d’Olivet, interviewé par France 2, avouer que le prix du marché dans le centre bourg est bien supérieur à l’offre de rachat que la SEMDO me fait, comment ne pas trouver cela inadmissible de la part d’une personne qui déclare avoir «tout fait pour accompagner les riverains concernés » ? En effet le maire dit souvent qu’il n’a pas une grande marge de manœuvre pour négocier, pourtant la Loi stipule qu’il dispose d’une marge de  manœuvre de 10 % vis à vis de l’estimation des Domaines. Il  a préféré ne pas l’utiliser avec certaines personnes. A ce propos, je vous encourage vraiment à écouter les témoignages des expropriés qui déclarent ne pas avoir été soutenus.

JCH: Une municipalité doit demander l'avis des Domaines pour acquérir un bien immobilier. Cet avis comporte une marge de négociation. Or, vous avez contesté l'évaluation établie par les Domaines. Quel était son montant? Comportait-elle l'évaluation des indemnités de remploi?

PA: Suite à une visite de mon appartement en 2017, le service des Domaines l’a estimé à seulement 105 000€, soit quasiment la moitié des estimations qui m’ont été faites en 2013 par un notaire et des agences immobilières, et environ 40 000€ de moins que mon prix d’achat en 2008 ! Il est certes bien connu que les domaines sous-évaluent les biens qui seront rachetés avec les deniers publics, mais tout de même, vu à quel point ce montant est faible, je ne pense pas qu’il incluait les indemnités de remploi.

JCH: France2 a essayé de questionner les Domaines à ce sujet.

PA: Ils ont refusé de répondre. La SEMDO n’a pas non plus souhaité répondre aux questions d’Envoyé Spécial. C’est totalement inadmissible. Les organismes publiques qui établissent des estimations devraient être clairs et transparents.

JCH: En tout cas, ce double refus est bien regrettable! L'idée que les futurs logements dans la ZAC du Clos du Bourg seraient des logements chers et inaccessibles aux expropriés a été souvent exprimée. Cela dit, pour le moment, les différents lots prévus ne sont pas attribués à des promoteurs/constructeurs, aucun immeuble n'est sorti de terre et aucune indication n'a été diffusée en matière de prix de vente des logements. L'opération devra par ailleurs comporter 20 % de logements sociaux. Les "logements sociaux" sont de divers types: la plupart sont destinés à la location, d'autres à la location avec accès à la propriété. Avez-vous envisagé la possibilité d'accéder à ce type de logements?

PA: Oui. Le maire a refusé cette option sous prétexte de la différence de valeur vénale entre mon appartement et l’équivalent dans ce qui sera construit. En centre bourg, le prix du m² est actuellement à plus de 4000€/m² et la SEMDO va me racheter mon appartement 2000€/m² ; alors si on se base sur une logique purement financière, on peut même imaginer que l’expropriation peut s’avérer rentable, mais c’est oublier que derrière ça il y a des hommes et des femmes qui en sont les victimes.

JCH: Vous avez souvent exprimé le souhait de continuer à loger dans l'hyper centre du Bourg d'Olivet et publié des documents traçant autour de votre appartement un cercle très restreint. Avez-vous conscience que cela a pu passer pour un refus d'aller loger dans des zones un peu plus éloignées... où bien des Olivetains, par choix ou par nécessité habitent actuellement? Cela a pu aliéner une part du capital de la sympathie réelle que vous vaut cette situation dont, a priori, personne ne voudrait faire l'expérience?

PA: Je n’ai voulu vexer personne. On ne m’a pas proposé un logement ailleurs, qui pourrait compenser la perte des avantages que me procurent cet appartement et sa situation centrale. Je rappelle que je n’ai pas choisi de partir du centre ville où je me sens bien, et compte tenu de la construction de 350 logements dans le Clos du Bourg, je ne pensais pas qu’il y avait nécessité à partir. 

JCH: Au vu de cette expérience et de toute cette histoire, n'avez-vous pas été tentée de tirer un trait sur votre vie olivetaine et d'aller voir ailleurs... "si l'herbe n'y est pas plus verte"?

PA: Oh que si ! J’aime cette ville d’Olivet où j’ai de nombreux amis, mais comment continuer à avoir confiance en une municipalité qui apporte autant de souffrance envers les administrés qu’elle met à la porte de leur logement ? Si vous avez écouté cette enquête de France2 diffusée le 8 avril dans Envoyé Spécial, j’imagine que vous avez pu percevoir la détresse des victimes de l’expropriation et le malaise du maire qui admet que ce qu’on me propose est bien en dessous du prix du marché..

Mais vers quelle commune se tourner ? Est ce que l’herbe y est vraiment plus verte ?  Je sais que certaines communes ont été plus respectueuses envers les personnes frappées d’expropriation... Je vais faire mon possible pour ne plus jamais avoir à revivre cela et je vais  continuer à communiquer sur mon expérience avec l’espoir  que d’autres n’aient pas non plus à vivre cela.

Je vous remercie de m’avoir donné la parole.

 

 

 

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