Faut qu'ça saigne!
08 nov. 2018Faut qu'ça saigne!
Cette formule expéditive fut reprise jadis (en 1955, bien avant la vague végétarienne ou vegan) par Boris Vian au refrain de sa chanson Les Joyeux Bouchers dont le texte est reproduit ci-dessous. En ces temps de commémoration du centenaire de l'armistice qui mit un terme à la guerre de 14, en ces temps où une video montre comment ça se passait à l'abattoir de Lacs dans l'Indre, le rapprochement établi par Vian entre les" tueurs des abattoirs" et les "fameux va-t-en guerre" vaut d'être rappelé.
C'est le tango des tueurs des abattoirs
Venez cueillir la fraise et l'amourette
Et boire du sang avant qu'il soit tout noir
Faut qu' ça saigne
Faut qu' les gens ayent à bouffer
Faut qu' les gros puissent se goinfrer
Faut qu' les petits puissent engraisser
Faut qu' ça saigne
Faut qu' les mandataires aux Halles
Puissent s'en fourrer plein la dalle
Du filet à huit cent balles
Faut qu' ça saigne
Faut qu' les peaux se fassent tanner
Faut qu' les pieds se fassent paner
Que les têtes aillent mariner
Faut qu' ça saigne
Faut avaler d' la barbaque
Pour êt'e bien gras quand on claque
Et nourrir des vers comaques
Faut qu' ça saigne
Bien fort
C'est le tango des joyeux militaires
Des gais vainqueurs de partout et d'ailleurs
C'est le tango des fameux va-t-en guerre
C'est le tango de tous les fossoyeurs
Faut qu' ça saigne
Appuie sur la baïonnette
Faut qu' ça rentre ou bien qu' ça pète
Sinon t'auras une grosse tête
Faut qu' ça saigne
Démolis en quelques-uns
Tant pis si c'est des cousins
Fais-leur sortir le raisin
Faut qu' ça saigne
Si c'est pas toi qui les crèves
Les copains prendront la r'lève
Et tu joueras la Vie brève
Faut qu' ça saigne
Demain ça sera ton tour
Demain ça sera ton jour
Pus d' bonhomme et pus d'amour
Tiens ! Voilà du boudin ! Voilà du boudin !
Voilà du boudin !
Aujourd'hui, il n'y a plus d'abattoirs, ni à la Villette, ni faubourg Madeleine à Orléans. On ne voit plus en ville les cortèges de bestiaux, les bétaillères ni les bonshommes en blouses tachées du sang des bêtes traverser la rue pour aller boire un coup (de rouge?) au bistrot du coin. Les abattoirs sont plus périphériques, plus fonctionnels, plus discrets.. du moins tant que les activistes du mouvement L 214 ne révèlent pas des images choquantes de ce qui peut s'y passer.
Les images fournies par les caméras installées des mauvais traitements infligés aux animaux à abattre fournies par les caméras installées clandestinement en octobre ont conduit le préfet de l'Indre à ordonner la fermeture provisoire de l'abattoir du Boischaut-Sud. Ces images ont aussi entraîné de l'émotion et des condamnations vertueuses mais aussi un brin hypocrites... La cause animale mérite en effet d'être défendue et on aimerait que la mort soit donnée aux bêtes sans souffrance. Mais surtout sans qu'on ait à voir ou entendre ou se représenter cette souffrance. Pour qu'on puisse les consommer en paix, qu'on les tue... doucement, discrètement. Au merlin et au couteau, soit... mais sans qu'elles se débattent et sans qu'on le sache! Et si la viande est dans les rayonnages bon marché, on évitera de trop se demander comment sont abaissé les coûts de l'élevage, de l'abattage, de la préparation, de la distribution...
Mais là, en l'occurrence, on a vu ce qu'on préfèrerait ne pas voir!
Le maire de Lacs, Philippe Aubrun-Sassier, se serait bien passé de la mauvaise publicité ainsi faite à sa commune et a regretté que l'association ne soit pas d'abord venue le voir: ça aurait peut-être évité des polémiques... mais non le fait que cet abattoir ait fonctionné de manière inacceptable."La situation n’est pas en adéquation avec les protocoles" aurait déclaré au Berry Républicain le gestionnaire de l'établissement, François Daugeron, président de la Communauté de communes de La Châtre - Sainte-Sévère. Bel euphémisme! Il semble en fait que les employés n'aient guère eu de consignes, de contrôles, ni d'encadrement et aient accompli d'eux-mêmes leur boulot comme on a pu le voir sur les images. Brutalement? Comme si l'abattage pouvait être doux... Sans états d'âme? Allez savoir... Parce qu'il faut bien vivre, et qu'on ne trouve pas toujours le boulot qu'on souhaiterait, surtout quand on n'a pas de qualification, surtout dans le Boischaut-Sud.
En tout cas, ces travailleurs méritent-ils d'être traités d'ordures comme de courageux (mais anonymes) redresseurs de torts l'ont peinturluré sur l'entrée de l'abattoir? Et comment comprendre que cet abattoir ait fonctionné en "régie directe"? Pour la distribution de l'eau potable, les cantines, les transports urbains... on peut souhaiter que les collectivités prennent directement en main ces services à la population, mais est-ce la vocation d'une commune ou d'une communauté de communes de gérer un abattoir? Les élus de La Châtre, de Sainte-Sevère et de Lacs s'inquiètent des lourds investissements nécessaires pour remettre en bon fonctionnement cet abattoir dont les dysfonctionnements avaient déjà été pointés du doigt par les pouvoirs publics: que n'ont-ils recruté des personnels de direction technique et d'encadrement compétents? Ils ont opté pour un abattoir (de bovins, principalement) configuré pour atteindre un équilibre économique en traitant annuellement de 3 500 à 4 000 tonnes de viandes: du coup l'abattoir draine du bétail non seulement du Berry, mais aussi de tout le département et même au-delà de la région, du bétail venant du Poitou, du Limousin, de Loire-Atlantique... Un abattoir "bio" comme on a pu le lire? Pas vraiment: environ 5% des bêtes "traitées" provenaient d'élevages en bio. Un abattoir "hallal"? Pas plus que d'autres... mais il pouvait en effet répondre à la demande.
C'est d'ailleurs une caractéristique de la région Centre Val de Loire. Si en 2014, plus de 13 500 bovins "régionaux" ont été abattus dans un abattoir "régional", 85 000 autres ont été abattus ailleurs que dans leur région d'élevage, essentiellement dans les Pays de la Loire, la Bretagne et l'Auvergne. Et 8000 environ sont venus des Pays de Loire et du Limousin pour être abattus chez nous! Ces chiffres sont issus d'un dossier de la direction régionale de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt à consulter sur
http://draaf.centre-val-de-loire.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Abattoirsbis
Cette affaire nous confronte en tout cas à toute une série de questionnements.
Sur le recours aux caméras... Accepterait-on qu'elles soient installées à l'insu des travailleurs... si ça n'était pas au nom de la "bonne cause" animale? Faut-il se faire à l'idée que les organismes qui supervisent l'abattage (direction de l'agriculture, services vétérinaires etc...) n'aient pas les moyens de mener les tâches de contrôle et de surveillance?
Sur la façon de confier l'abattage des animaux de boucherie: à la filière professionnelle, aux collectivités territoriales? Et pourquoi pas à des agences de l’État? faut-il aller vers un ou deux gros abattoirs centraux par département? Vers des camions d'abattage mobiles?
Sur l'économie de l'élevage et de l'abattage qui mène actuellement à ces déplacements et transports en tous sens, de bêtes sur pieds comme de carcasses, alors qu'on ne cesse de prôner aujourd'hui un raccourcissement des distances entre lieux de production et lieux de consommation...Faut-il agir au nom des bêtes pour leur droit de vivre et d'être abattues "au pays"?
Sur notre alimentation et sur la place donnée aux "produits carnés" (certains disent..... "aux bêtes mortes" dans notre réponse aux besoins de protéines. Sur la relation que nous, les humains, les plus supérieurs des mammifères, nous entretenons avec les bêtes, avec les autres espèces animales.
Pour alimenter la réflexion, on peut aussi se reporter à ce communiqué d'EELV 36 que nous a transmis Michel Isambert
Nous nous interrogeons sur les responsabilités de L’État puisque les constats des dysfonctionnements datent de plus de deux ans sans que, semble-t-il, rien n’ait été fait depuis pour y mettre un terme.
Le fait que cet abattoir soit « agréé bio », même si cela ne concerne que 5 % de ses productions, ne fait que renforcer le sentiment de trahison des éleveurs bio mais aussi plus généralement de beau-coup d’autres éleveurs, nombreux dans ce pays de bouchures à pratiquer des élevages à l’herbe et où un travail est engagé depuis plusieurs années sur la protection de la biodiversité.
Nous pensons absolument nécessaire de réduire la consommation de viandes issues de productions industrialisées. Mais cela implique de maintenir des abattoirs de proximité pour développer en particulier les circuits courts et permettre la consommation de viandes de qualité.
Le travail de reconstruction de la confiance doit donc se faire sans concessions et sans délais. Il est indispensable de renforcer la réglementation des abattoirs au niveau national. Localement, la néces-saire remise à plat du fonctionnement ne doit pas être le prétexte à une nouvelle fermeture définitive d’un service public : il faut donc que L’État et les collectivités locales concernées assument enfin leurs responsabilités pour une filière locale de qualité, digne et cohérente.
05/11/2018