Noël: le temps d'un appel, le sens d'une alerte!
22 déc. 2017En cette veille de Noël, avant les réveillons et les cadeaux au pied du sapin, qu'il nous soit permis d'entendre une appel pressant, celui que Geneviève Jacques, au nom de la Cimade, a adressé au Président de la République.
Cet appel, vous pouvez le retrouver en utilisant l'adresse copiée ci-dessous:
http://www.lacimade.org/entendez-monsieur-president/
Cet appel, vous pouvez l'entendre en utilisant le lien-suivant:
https://vimeo.com/248179023
Et vous pouvez, tout simplement, le lire ici même.
Verbatim du message adressé par Geneviève Jacques, présidente de La Cimade :
Monsieur le Président,
Le 27 juillet vous avez déclaré : « Je ne veux plus avoir, d’ici la fin de l’année, des femmes et des hommes qui vivent dans les bois, dans les rues, perdus. C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité ».
Nous sommes à la fin de l’année.
Regardez ces images : des centaines, des milliers d’exilés vivent et dorment encore dans les rues et dans les bois. Parce qu’il n’y a pas assez d’abris pour eux et aussi parce que les pouvoirs publics ne veulent pas les accueillir en France.
Où est la dignité ? Quand des exilés sont harcelés par les forces de l’ordre qui détruisent leurs abris et leurs couvertures, aggravant les situations de souffrance et d’errance.
Où est l’humanité ? Quand des centres d’hébergement d’urgence sont transformés en lieux de fichage et de triage entre ceux qui seraient « accueillables » et ceux qui seraient « jetables », c’est à dire voués à l’expulsion vers des pays qu’ils viennent de fuir.
Le refus des acteurs associatifs de coopérer à des dispositifs qui lient l’hébergement à l’éloignement forcé n’est pas une posture Monsieur le Président.
C’est l’expression d’un très sérieux malaise devant les conséquences inhumaines de la politique migratoire menée en votre nom.
Cessez de taxer d’angélisme ou de naïveté des associations ou des citoyens qui se mobilisent partout en France par solidarité et qui réclament une politique digne de ce nom, une politique d’accueil à la hauteur des défis migratoires d’aujourd’hui.
Pour eux, pour nous, c’est une question de dignité, c’est une question d’humanité, c’est un enjeu de choix de société.
Et, puisque la question est doublement d'actualité, en raison de l'échéance qu'avait indiquée Emmanuel Macron lui-même et en raison de la préparation d'un projet de loi nouvelle sur le droit d'asile., nous reproduisons ci-dessous de très larges extraits d'un document publié par le mouvement France Terre d'asile.
Pour Olivet Mag
Le gouvernement a prévu dans le projet de loi sur l’asile, qu’il prépare en cette fin d’année, d’introduire le concept de pays tiers sûr. Concept qui permet de déclarer irrecevable la demande d’asile d’une personne ayant transité par un État non européen qui présenterait des garanties de protection équivalentes.
Ce concept est aussi au cœur des négociations entre les États membres et le Parlement européen dans le cadre de la réforme du Régime d’asile européen commun. Loin de n’être qu’une question technique et juridique, l’adoption de cette notion en droit français aurait un impact non négligeable sur notre application du droit d’asile.
À l’occasion de la Journée internationale des migrants, Thierry Le Roy, Président de France terre d’asile, expose la position de l’association sur cette question.
France terre d’asile est opposée à l’adoption du concept de « pays tiers sûr ».
Pourquoi ?
La question est ancienne. Dès 1981, l’option d’écarter comme irrecevable la demande d’un réfugié qui, au cours de son itinéraire, se serait déjà vu reconnaître cette qualité dans un pays tiers (dit « premier pays d’asile ») ou aurait pu la demander (« pays tiers sûr »), le Conseil d’Etat qui l’avait jugée, de la manière la plus solennelle, contraire à la convention de Genève, (à sa lettre qui n’écarte son application qu’aux personnes qui ont acquis la nationalité, en droit ou de facto, d’un pays tiers), (comme à son esprit libéral qui permet au réfugié le changement de pays de résidence, sinon le libre choix du pays d’installation). La France était encore en 2015 sur cette ligne, refusant d’opter pour l’irrecevabilité du "pays tiers sûr". Et nous n’étions pas seuls, car même la dizaine de pays européens qui ont incorporé cette notion dans leur législation ne la pratiquent guère (à l’exception de la Hongrie avec la Serbie). On avait même presque renoncé, dans l’UE, à fixer une liste, commune aux États membres, de « pays sûrs ».
La question revient aujourd’hui parce que la crise de 2015-2016 a fait penser aux pays européens, à commencer par les plus sollicités par les demandeurs d’asile, que la charge de l’accueil devait être au moins partagée avec les pays de transit. L’idée a prospéré lorsqu’on a vu la Turquie s’y prêter, en acceptant de reprendre à la Grèce les réfugiés syriens. Dès 2016, la Commission européenne a proposé un cadre général de partenariat UE-pays tiers, et, dans la refonte entreprise du "paquet Asile", que l’option d’irrecevabilité pour transit par un « pays tiers sûr » soit inscrite dans un règlement et cesse ainsi d’être optionnelle ; en juin 2017, le Conseil européen, allant plus loin, a demandé qu’on explore, dans la négociation de cette proposition de règlement, une extension de ces cas où le parcours du demandeur d’asile peut fournir au pays d’arrivée des raisons légales d’écarter sa demande comme relevant plutôt du pays tiers de transit. Le gouvernement français, qui s’y était refusé en 2015, songe même maintenant à devancer ce projet de règlement européen dans le projet de loi sur l’asile qu’il prépare en cette fin d’année.
En politique de l’asile, la question n’est pas dénuée de sens. La grande majorité des personnes déplacées dans le monde par l’effet de crises ou de conflits résident dans un pays géographiquement proche du pays d’origine. On peut même regarder ce fait comme propice aux perspectives de retour éventuelles, et que, même à défaut de retour, l’itinérance des réfugiés vers des pays plus lointains ne favorise pas nécessairement leur réinstallation.
Mais cette novation, juridique et politique, serait la négation du droit d’asile.
Doublement.
Elle serait d'abord contraire au droit d’asile construit depuis 1951 avec la convention de Genève. Au plan français, sa constitutionnalité est fortement questionnée, à la lumière de l’aménagement constitutionnel qu’il avait fallu pour introduire les règles de renvoi des « dublinés ». Pour la convention de Genève, à laquelle le droit de l’UE se réfère, la compatibilité du concept de « pays tiers sûr » n’a pas encore été jugée ni par la Cour de justice de l’UE, ni par la Cour européenne des droits de l’homme ni par les juridictions nationales, parce qu’il y a eu à ce jour peu d’applications. Mais plusieurs instances françaises vont avoir à se prononcer prochainement, dès lors qu’un projet de loi inscrirait le concept dans le droit français : avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), avis du Conseil d’Etat, saisine du Conseil constitutionnel. Or, le raisonnement juridique du Conseil d’Etat sur un "premier pays d’asile" devrait conserver, a fortiori, toute sa force face au concept de « pays tiers sûr », où la sûreté alléguée du pays tiers ne comporte même pas le bénéfice effectif du statut de réfugié : ce concept est contraire à la lettre de la convention de Genève, car il ajoute une condition aux critères de reconnaissance de la qualité de réfugié limitativement énumérés à l’article 1A2 de cette convention ; il est contraire à l’esprit de cette convention car il exclurait la garantie d’un examen individuel (difficulté que le projet s’efforce de contourner), et il délierait l’État d’accueil de son obligation de non-refoulement. Le droit d’asile ne peut être sauf, que si un demandeur d’asile opte lui-même pour son transfert vers un pays tiers jugé sûr, pas s’il est expulsé vers ce pays.
Cette novation serait ensuite dangereuse pour l'avenir du droit d'asile. Que sera le droit d'asile dans un "pays tiers sûr" ? L'UE peine, depuis longtemps, à trouver une définition et des listes communes de pays sûrs face à l’enjeu diplomatique qui fait oublier la rigueur du droit d'asile. S'ajoute, dans la démarche d'aujourd'hui, la pression des circonstances. Derrière la demande du Conseil européen de juin 2017, se profile l'objectif d'un certain nombre d'Etats membres d'alléger la référence, dans la définition du concept, aux "exigences de la convention de Genève", et de faire en sorte que les "pays tiers sûrs" ne soient plus introuvables.
Le projet en discussion entre le Parlement européen et le Conseil ne devrait pas s'en tenir à l'idée qu'un réfugié qui a déjà obtenu le statut dans un pays tiers signataire et respectueux de la convention de Genève n'a pas lieu de demander une nouvelle fois ce statut. On va discuter, en les "détricotant", comme le demandent ouvertement certains Etats membres, aussi bien la définition d'un « pays tiers sûr » et les éléments de la "protection suffisante" censée être donnée à l'intéressé, que la nature du lien qui doit s'être créé à l'occasion du transit. Le droit d'asile risque de devenir multiforme depuis l'obtention du statut prévu par la convention de Genève ou de la possibilité de le demander, au simple passage dans un itinéraire, en passant par des situations très diversement protectrices, selon que l'intéressé aura pu résider, résider paisiblement et durablement, y exercer quelques droits, travailler, réunir sa famille, ou non. On va même se demander si une partie seulement de pays comme la Turquie, voire la Libye, ne peut pas suffire. Au moment où l'UE essaie d'harmoniser, sinon d'unifier, l'interprétation de la convention de Genève entre les Etats membres entre lesquels les taux de reconnaissance varient considérablement pour chaque nationalité de réfugiés, on ouvrirait et consacrerait des degrés ou des versions dégradées de l'asile dans le monde qui entoure l'Europe, dans le seul but d'y réduire les flux d'arrivées de demandeurs d'asile.
Enfin, hors d'Europe, les pays tiers ne veulent pas de ce verrou qui ramènerait ou retiendrait les réfugiés chez eux et ne sont prêts à adopter des standards de l'asile qui en feraient des "pays tiers sûrs" aux yeux des pays européens. Certes, on trouverait des exceptions sous la pression de raisons diplomatiques ou de la gestion d'une crise, comme celle des réfugiés syriens en Grèce, qui a porté les Européens, et même le Conseil d'Etat grec, à admettre la Turquie comme un « pays tiers sûr » … pour eux ! France-Terre d’asile rejette le concept de « pays tiers sûr », comme elle a dénoncé l'"accord" UE-Turquie.
L'Europe, qui a donné naissance au droit d'asile contemporain, adresserait ainsi aux pays tiers un signal et une incitation à se tenir même en deçà du niveau de sûreté qui serait défini : signal de surenchère protectionniste, là où il faudrait au contraire davantage d'accords internationaux de partage des responsabilités.
Qui voudra du concept de "pays tiers sûr" ? Ni ces pays tiers, qui le font savoir, ni les réfugiés qui savent mieux que quiconque ce que valent pour leur sûreté les pays par lesquels leur itinéraire les a fait passer. Ni nous, à France - Terre d'asile, qui ne voulons pas que la France et l'Europe donnent aux réfugiés cette image de l'asile et des valeurs que nous y mettons. Nous appelons le gouvernement français à renoncer à ce concept, au mieux inutile, qui risque de pervertir le droit d’asile.
Voilà qui jette un peu d'ombre et de gravité sur les lumières de Noël...
Voilà qui peut aussi renforcer le sens que prend cette fête pour tous, croyants ou non, d'Olivet et d'ailleurs!