Grand Paris, gros projets, graves questions

Connaissez-vous le Triangle de Gonesse? C'est une zone de 80 hectares d' excellents sols agricoles sont menacés d'être bétonnés sur l'équivalent d'une centaine de terrains de football par "Immochan"... ou, plus officiellement Europacity. Ce projet est porté par deux géants, le groupe Auchan et Wanda, qui n'est pas un poisson, mais un investisseur chinois!

L'idée est d’aménager un gigantesque centre commercial entre les aéroports de Roissy et du Bourget, comportant des hôtels, des commerces à foison, un parc aquatique, une piste de ski et diverses autres installations permettant de passer son temps, à se distraire, faire ses courses, consommer, claquer ses sous etc...

Bah, s'il y en a qui aiment ça...

Le problème est que cet investissement de 3.1 milliard d'euros est aussi favorisé par des projets d'infrastructures (transports en particulier) financées, elles, par la collectivité.

Le problème est que les milliers d'emplois que ses promoteurs font miroiter sont moins des créations nettes que des transferts depuis d'autres sites.

Le problème est qu'on détournerait ainsi des terres à vocation agricole alors qu'on ne cesse par ailleurs de parler d'agriculture péri-urbaine, d'alimentation des grandes villes en circuit court

Le problème est l'augmentation de l'imperméabilisation de très grandes surfaces par des parkings bitumés et des toitures à foison: en cas de fortes précipitations, cela provoquera  des ruissellements brutaux entraînant des risques d'inondation et de coulées de boue en aval dans les cours d'eau qui vont se jeter dans la Seine  ... à Saint-Denis !

Mais pourquoi parler ici d'un aménagement dans la grande banlieue Nord de Paris?

C'est que ce genre de projet illustre ce qu'on peut appeler la gourmandise territoriale de Paris, la tendance à l'hypertrophie de "la" grande métropole-capitale... C'est là sans doute un non-sens écologique, mais aussi une entorse au principe d'un développement équilibré de l'ensemble du pays. A ce sujet, nous proposons à la lecture un article salutaire, écrit par Yann Fiévet dans le journal Le Peuple Breton.

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Paris gourmand

 

 

Paris flotte mais ne sombre pas. Paris ne s’est pas fait en un jour. Paris vaut bien une messe. Que de flatteries, égrainées au fil des siècles, pour construire l’éloge éternel de la « ville lumière », capitale d’un Etat-Nation dont l’hyper-concentration est sans égale en Europe. Et que de mépris pour la « province » (pays vaincu) contenu à l’envers de cette suffisance à jamais entretenue. Le parisianisme est indéfectiblement consubstantiel à la construction politique de la France. Les efforts pour desserrer l’étreinte, dans la seconde moitié du siècle dernier, ont eu, hélas, peu d’effets sur l’évolution des mentalités présidant à la caricaturale dichotomie, notamment au sein de la classe médiacratique. On assiste même depuis le tournant de ce siècle à une reprise en main de L’État. Pire, un discours se développe qui accrédite l’idée que désormais la « région-capitale » serait déshéritée.

 

La région-capitale à un nom : Ile-de-France. Tout un programme ! Une petite France à part qu’il faudrait protéger de l’océan obscur qui l’entoure. Une « petite » France qui concentre, sur 4% du territoire de l’hexagone, 20% de la population du pays, l’essentiel du pouvoir économique incarné par la localisation francilienne de la quasi-totalité des sièges sociaux des grandes entreprises françaises, la plupart des directions de administration « centrale ». Bref, si cette région est à plaindre c’est plus pour son hypertrophie – engendrant de multiples nuisances – que pour son insuffisante richesse. Pourtant, elle en redemande. Sa gourmandise est insatiable. Elle attend tout du « Grand Paris » décidé sous Nicolas Sarkozy. Et voilà que maintenant, cerise sur le monstrueux gâteau, l’organisation des JO de 2024 lui est attribuée. Et tant pis si ses muscles les plus saillants doivent devenir gonflette. Ainsi, le Grand Paris Express qui devrait entrer en service en 2023, plus grand chantier d'Europe, comprend la création de 200 kilomètres de lignes et 68 nouvelles gares. Quand le réseau de transport francilien existant bat de l’aile partout en raison de son vieillissement et de son manque d’entretien régulier, on préfère construire de nouvelles lignes. Au lieu de rénover le réseau actuel afin de faciliter les déplacements domicile-travail des franciliens, on va leur proposer des liaisons neuves souvent entre villes-dortoirs. A l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique cette folie des grandeurs tourne délibérément le dos à la nécessaire sobriété économique et à une véritable politique d’aménagement du territoire national.

 

Emmanuel Macron et Nicolas Hulot affirmaient il y a peu encore qu’il convenait de réduire la voilure de ces projets pharaoniques eu égard, justement, à la réduction de l’empreinte écologique de l’Ile-de-France. Ils sont depuis sous pression des élus politiques d’abord, des bétonneurs ensuite. Un vrai tir de barrage. Plusieurs sénateurs franciliens de toutes tendances politiques ont demandé le 22 novembre dernier au Président de la République le maintien intégral du projet du Grand Paris Express. Dans un courrier co-signé notamment par le président de la commission des finances Vincent Eblé (PS) et les vice-présidents du Sénat Philippe Dallier (LR) et Vincent Delahaye (UC), ces sénateurs écrivent sans ambages que ce projet "est un projet visionnaire au service de la croissance, de l'économie et de l'emploi, une cohérence pour les territoires, un acte de confiance pour les entreprises et les investisseurs". "Cette vision, cette cohérence et cette confiance doivent être maintenant réaffirmées", poursuivent-ils. Ils y ajoutent l’imparable argument de « la cohérence Nationale » ! La veille de ce  courrier sénatorial, un collectif de plusieurs dizaines de maires d'Île-de-France de tous bords, dont la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) et le maire de Rueil-Malmaison et président de la Métropole du Grand Paris, Patrick Ollier (LR), avait réclamé eux aussi le maintien de l'intégralité du projet. Les géants du BTP, Vinci, Bouygues, Eiffage ne sont évidemment pas en reste. Ils ajoutent leur chorus à ce concert de pressions. Le chantier de 35 milliards d’euros est pour eux un Jackpot attendu. Ils ne sont pas prêts de lâcher la juteuse affaire. D’ailleurs, le chantage à l’emploi a déjà commencé.

 

M. Macron saura-t-il résister au chant de toutes ces sirènes, chant fait de toutes les croyances tirées du passé, à commencer par les mirifiques promesses habituelles de créations massives d’emplois ? Il est fortement permis d’en douter : lui aussi est convaincu que le salut économique de la France passe par le bon rang que Paris saura tenir dans « la compétition entre les grandes métropoles ». La gourmandise de Paris va se faire goinfrerie ! Soulignons – suprême indice – que le staff réuni autour du tout nouveau secrétaire général du mouvement "En Marche !" est presque entièrement parisien. François VILLON le disait déjà dans sa Balade des Femmes de Paris :"Il n’est de bon bec que de  Paris". Éternel, disions-nous !

Yann Fiévet

Le Peuple Breton - Décembre 2017

  
Grand Paris, gros projets, graves questions

Des chroniques de « Leurre de vérité » (2000-2009) ont été publiées sous le titre Le monde en pente douce aux Éditions Golias en 2009, avec une préface de Paul Ariès.
• Yann Fiévet tient également une chronique intitulée « Trompe l’œil » dans la revue mensuelle Les Z’indigné-e-s, dirigée par Paul Ariès.

Yann Fiévet mise sur l’engagement des hommes pour remettre en cause « le dogme destructeur de la croissance sans fin ».

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