Comment qu'il nous cause!

Les articles publiés dans Olivet Mag ne sont pas toujours drôles.

Celui qui suit peut donner à sourire, à réfléchir aussi. En tout cas c'est bien vu, et bien dit. Ces compliments sont d'autant plus faciles à faire que ce texte nous vient d'ailleurs. C'est de Laurent Joffrin, éditorialiste à Libération, et c'est publié dans une lettre accessible sur l"internet.

En plus, comme demain mardi 10, y aura plein de feignants et d'illettrés qui vont avoir le temps de lire et de défilés syndicaux qui vont foutre le bordel en ville... bonne lecture!

«Foutre le bordel»

Emmanuel Macron, quoique surdiplômé, aime aussi «parler peuple». Lors de sa fulgurante ascension poltique, il a fait de la transgression, mi-gouailleuse mi-vulgaire, une marque de fabrique. Entre les «illettrés» de Bretagne, ses sorties contre les 35 heures, son rejet de la taxation des hauts revenus – «Cuba sans le soleil» – il a joué le buzz avec une régularité de maître des horloges médiatiques. Président, il n’a pas hésité à fustiger «les fainéants», même s’il visait, dit-on, ses prédécesseurs et non les manifestants contre la loi Travail (on pouvait s’y tromper…), et maintenant ceux qui «foutent le bordel» au lieu d’aller dans la ville voisine pourvoir les postes vacants. La chose se répète trop souvent pour qu’on n’y voie pas l’expression d’un caractère, et, peut-être, d’une tactique.

S’il veut rester dans sa veine, qui rappelle furieusement les clichés qu’on entendait naguère dans les salons bourgeois, on peut lui suggérer d’autres transgressions qui ne manqueront pas d’exciter les bien-pensants de la gauche archaïque. Il peut exhumer certaines «punchlines» du temps passé. Par exemple celle de 1936 : «Congés payés ? Papier gras sur les plages» ; reprendre le très nostalgique «aujourd’hui, les gens ne veulent plus travailler» ; soupirer devant la rapacité des salariés : «les ouvriers, vous leur donnez un ongle, ils vous prennent le bras» ; choisir un thème plus sociétal : «on veut bien augmenter les salaires, mais le problème, c’est que les ouvriers boivent leur paie au lieu de nourrir leur famille», stigmatiser enfin l’égoïsme des pauvres : «tout le monde sait que les chômeurs se la coulent douce avec l’argent de ceux qui travaillent».

Suppositions fictives, bien sûr. Le Président se laisse aller volontiers aux provocations mais il aussi montré à plusieurs occasions spectaculaires qu’il savait parler de plain-pied avec les syndicalistes ou les salariés en grève, et que ses interlocuteurs sortaient de ces confrontations avec le sentiment d’avoir été écoutés. Il est certain, aussi bien, que le parler vrai a ses vertus. On ne peut pas reprocher simultanément aux hommes politiques de pratiquer la langue de bois et de s’en écarter. L’ennui, c’est que ces provocations visent systématiquement les mêmes totems. S’il s’agit de mettre les pieds dans le plat, on aimerait que le Président admoneste aussi, de temps en temps, les puissants de la Terre. Ce qu’il se garde de faire. On ne l’a jamais entendu dire que certains patrons tiraient sur la corde, que les PDG du CAC 40 ont une tendance irrésistible à se remplir outrancièrement les poches, que certains milliardaires sont surtout des héritiers nantis, etc. On provoque. Pourquoi pas ? Mais ces transgressions, bizarrement, transgressent toujours les mêmes limites.

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