Pas de roses sans épines

Le samedi 3 octobre et le dimanche 4 octobre ont été marqués à Olivet par les « foulées roses » organisées dans le cadre de ces divers événements « roses » du mois d'octobre pour promouvoir les campagnes d'information sur les cancers, inciter au dépistage, récolter des fonds etc...

Esprit de solidarité, élans sportifs, goût pour les manifestations collectives de la compassion... tout cela bénéficie de l'appui de sponsors, du travail des bénévoles... et, localement, en particulier de la mairie d'Olivet et de la clinique de l'Archette. Et le tout se pense aussi en termes de communication, de médias etc...Un large public est venu au rendez-vous : ainsi à Olivet, on dénombrait 3358 inscrits à la marche ou à la course dans le quartier du Larry,

Le message est clair : la pratique sportive et l'activité physique contribuent à aider à éviter la maladie, à mieux la combattre... et le dépistage permet de diagnostiquer à temps certaines tumeurs cancéreuses.

Certes, il y a là du bon sens, un parfum d'espoir. Ce discours masque une part de la réalité : souffrances, nausées, appréhension de l'avenir, traitements pénibles, opérations mutilantes... Mais il vaut mieux parler du cancer que de n'en rien oser dire ou de l'entourer de secret, de mystères voire de honte. Et c'est mieux de collecter des fonds que de ne rien donner....

Ces évidences étant rappelées, en voici d'autres:

Tant mieux si on dépiste à temps... mais faut pas croire que c'est parce que c'est dépisté que l'essentiel est fait ! Tant mieux si ça remplit des caisses et profite aux recherches et thérapies... mais faut pas croire que la faucheuse se découragera !
Tant mieux si on pratique des activités physiques (pourquoi du "sport", ça n'est pas pareil...)... mais faut pas croire que l'attention portée au corps garantit qu'on est à l'abri.
Tant mieux si on prête attention aux cancers et si on en en discute au lieu de rester dans le silence navré... mais faut pas croire que la parole diminue le risque des métastases!
Tant mieux si on souligne que l'on reste "femme", être de chair et de vie, même quand le crabe a mordu... mais faut pas croire qu'une jolie couleur rose suffise à masquer la cruauté des atteintes subies.

Et encore d'autres, moins consensuelles :

Ce rose respire la "bonne conscience" sympa (à Olivet, on lutte contre le cancer du sein…) : ce rose a un parfum de comm' (à Olivet, c'est nous qui les premiers dans l'agglo organisons les "foulées roses"). Du rose ? Pourquoi? Pour voir la vie... en rose? Parce que c'est la couleur...des filles?

Sur Rue 89, la journaliste Renée Greusard a exprimé avec humeur... ses interrogations sur tout cela dans un article en date du 2 octobre au titre ravageur Octobre Rose, revoilà la guimauve rose culpabilisante contre le cancer. Après avoir pointé quelques dérives mercantiles ou de goût douteux, Renée Greusard rappelle la question du surdiagnostic lié au dépistage de masse. Le surdiagnostic ? C' est la découverte d’un cancer qui n’aurait pas affecté la santé de la femme de son vivant, s’il n’avait pas été détecté.

En 2012, déjà, l’UFC-Que Choisir interpellait les pouvoirs publics "pour garantir le droit des femmes de choisir librement et de manière éclairée de se faire ou non dépister ».

D'autant plusqu'il y a controverse, dans les milieux scientifiques, autour de la balance bénéfices/risques (bienfaits surévalués et inconvénients sous-estimés) du dépistage. Dans de nombreux pays (Danemark, Suède, Canada, etc.) la sensibilisation ne passe plus par la campagne pour le dépistage systématique.

Sur http://cancer-rose.fr des médecins et chercheurs mettent carrément les pieds dans le plat :

« Tous les ans en octobre le monde est rose pour la cause du cancer du sein.

La course ne fait pas reculer le cancer, mais avancer les affaires.

Le don ne réduit pas la mortalité, mais fait vivre les marques.

Le spot télévisé profite aux médias et associations, mais vous désinforme.

Éteignez la télé, ôtez le ruban, cessez de courir et entrez ; ici cinq médecins indépendants ont créé ce site pour vous, pour relayer informations, controverses et outils de compréhension du cancer et des abus du dépistage. »

Dans un article tout récent publié par l'Express, Cécile Bour, radiologue depuis 25 ans,spécialisée dans la lecture de mammographies explique pourquoi aujourd'hui, elle conteste le discours des pouvoirs publics. L'article est clair et engagé... et même parfois drôle: allez le lire sur

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/cancer-du-sein-stop-a-la-guimauve-d-octobre-rose_1723419.html

La question est complexe. Une récente étude menée par l'université d'Harvard sur les coorélations observées entre taux de mammographie incidences du cancer du sein, mortalité et taille de la tumeur sème le doute. Plus il se pratique de mammographies, plus on diagnostique de « petits cancers » . En revanche, on ne constate pas un déclin du nombre de « grands » cancers dépistés. Et il n y a pas moins de morts chez les diagnostiquées de la maladie. On retrouve là un débat ouvert au sujet du cancer de la prostate.

Sur cette question du surdiagnostic, Didier Sicard, professeur émérite à l’université Paris-Descartes, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s'exprimait en ces termes :« Cette question dépasse largement celle du cancer. C’est une question contemporaine qui est liée à l’inscription nouvelle du principe de précaution en médecine. C’est un principe légitime sur le plan de l’environnement mais en médecine, il aboutit à des absurdités économiques et à des contradictions. »

Dépister ou pas? Courir ou non? Comment combattre le cancer? , il faudra bien un jour prendre en compte ce qu'on entrevoit sur les causes environnementales des cancers (cf travaux d'André Cicolella), sur l'exposition à des composants et substances nocives, sur la force des lobbys de l'alcool, du sucre et du sel... Il faudra bien un jour faire le point sur ce qui va et ne va pas dans la médecine du travail et les bilans de santé et contrôles effectués (ou pas) dans la vie professionnelle, sur la densité en professionnels de santé rôdés au travail d'accompagnement des patient-e-s soigné-e-s par ailleurs dans les structures hospitalières... Il faudra bien un jour, voir ce qu'il en est des postes de réadaptation, de l'appui accordé aux accompagnant-e-s. Bref, C'est là, pour contrer le cancer, une perspective plus "sociale", "politique", "écologique": c'est moins consensuel, moins « sympa », moins "rose"... et peut-être plus efficace.

Est-ce à dire que nos élus olivetains ont eu tort de coorganiser ces « foulées roses » ? Non car la parole rendue possible sur la « longue et douloureuse maladie », les fonds récoltés... ça a une utilité.
Et puis, les choses bougent : le Sénat s’est prononcé en faveur d’« un droit à l’oubli » en insérant dans le projet de loi de modernisation du système de santé, la convention signée fin mars par l’exécutif avec les assureurs de santé qui prévoit que les anciens malades du cancer soient, au bout de dix ans, libérés de l'obligation de devoir mentionner leur maladie pour obtenir un prêt ou négocier une assurance.

Comme quoi, à un train de sénateur ou à petites foulées (roses), les choses avancent...



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